Depuis plus de vingt ans, l’idée du Projet Desertec fait rêver : transformer l’immensité des déserts en de gigantesques centrales solaires capables d’alimenter en électricité des millions de foyers, tant en Europe qu’en Afrique du Nord. Aujourd’hui, avec la nomination de Paul van Son comme directeur en 2025, cette ambition retrouve un second souffle. Sur Yelomart, on décrypte pour vous comment ce projet pourrait métamorphoser nos réseaux énergétiques, stimuler l’économie locale et réduire drastiquement notre empreinte carbone.
Un concept né au croisement de l’innovation et de la coopération
L’histoire commence en 2003, quand un groupe d’ingénieurs et d’experts en énergie d’Allemagne imagine qu’il serait possible de capter le soleil des grands déserts pour le convertir en électricité à très grande échelle. À cette époque, le contexte énergétique poussait déjà à diversifier les sources propres : déréglementation des marchés, montée des prix du pétrole et prise de conscience des enjeux climatiques. Le projet retenait l’attention non seulement par son audace technologique, mais aussi par son volet diplomatique : le rapprochement entre l’Europe et les pays du Maghreb pour bâtir ensemble la première infrastructure énergétique transcontinentale.
Les promoteurs initiaux se sont fixé un objectif ambitieux : 100 GW installés d’ici 2050, soit l’équivalent de la consommation de près de 200 millions de foyers européens. À peu près cinq ans plus tard, plusieurs consortiums et institutions de recherche rejoignaient l’aventure, mais des retards et des problèmes de financement ont freiné le déploiement. Depuis, la donne technologique a évolué : le coût des panneaux photovoltaïques a chuté, de nouvelles techniques de stockage sont apparues, et les lignes à haute tension en courant continu (HVDC) sont plus performantes. Paul van Son va s’appuyer sur ces avancées pour relancer le projet, avec une approche pragmatique et modulaire.
Explorer et exploiter le potentiel solaire des déserts avec Desertec
Le désert offre des conditions idéales pour capter l’énergie solaire : plus de 3 500 heures d’ensoleillement par an dans certaines régions du Sahara et une irradiation moyenne de 2 500 kWh par m², contre 1 000 kWh en Europe. Les vastes plateaux arides ne sont pas convoités pour l’agriculture ou l’habitat, ce qui évite les conflits d’usage. De plus, la Méditerranée sépare l’Europe et l’Afrique du Nord de moins de 1 000 km à vol d’oiseau, facilitant le transport de l’électricité grâce à des câbles HVDC. Aujourd’hui, grâce aux supraconducteurs en cours de développement, on pourrait réduire les pertes à moins de 1 % par millier de kilomètres.
Pour Paul van Son, l’astuce consiste à déployer des “clusters” solaires de 1 GW chacun : l’idée est de construire plusieurs modules indépendants, afin de tester différentes technologies et d’ajuster en temps réel les choix d’équipement. Certaines unités seront dédiées à des centrales solaires thermiques (CSP), utilisant des miroirs paraboliques pour concentrer les rayons du soleil et générer de la vapeur. D’autres sites seront équipés de panneaux photovoltaïques de dernière génération, dont certains utilisent le matériau pérovskite pour atteindre des rendements supérieurs à 25 %. Cette diversité permettra d’identifier les solutions les plus efficaces selon les conditions locales.
Impacts économiques, sociaux et environnementaux
L’un des atouts majeurs du Projet Desertec est sa capacité à créer une véritable dynamique locale. Outre la construction des installations, qui génère plusieurs milliers d’emplois directs pour chaque tranche de 5 GW, l’entretien et la maintenance des centrales offrent des postes durables pour les ingénieurs et techniciens de la région. Des centres de formation verront le jour, en lien avec les universités et les écoles d’ingénieurs, pour développer les compétences nécessaires dans l’énergie solaire et le transport HVDC.
La coopération entre l’Europe et les pays maghrébins est au cœur du modèle : contrats de partage des revenus, investissements croisés et échanges technologiques. Les recettes générées par la vente d’électricité financent le développement d’infrastructures locales : routes d’accès, hôpitaux, réseaux d’eau potable. Cette approche “gagnant-gagnant” favorise l’acceptabilité sociale du projet et renforce la stabilité politique dans des zones parfois sujettes aux tensions.
Sur le plan environnemental, Desertec promet une réduction importante des émissions de CO₂ : chaque kilowattheure issu du solaire désertique évite en moyenne 0,7 kg de CO₂ par rapport au mix énergétique européen. Avec 150 GW installés d’ici 2030, on pourrait éviter plus de 80 millions de tonnes de CO₂ par an. Pour minimiser l’impact sur la faune et la flore désertiques, des études d’impact sont menées systématiquement et des corridors de biodiversité sont maintenus. Les centrales CSP traditionnelles utilisent de l’eau pour le refroidissement, mais Paul van Son privilégie désormais des tours sèches ou des échangeurs air-air, réduisant la consommation à moins de 0,1 m³/MWh.
Quelles perspectives pour les dix prochaines années ?
En misant sur une approche modulaire et collaborative, le Projet Desertec espère dépasser les 150 GW installés d’ici 2030. Cela représente l’équivalent de l’énergie absorbée par 10 millions de foyers en continu. À côté de l’électricité, le projet pourrait produire de l’hydrogène vert : en utilisant l’électricité solaire pour alimenter des électrolyseurs, on obtient un carburant propre, stockable et transportable, idéal pour l’industrie et la mobilité lourde.
À long terme, l’ambition est de créer une véritable économie circulaire : les panneaux et miroirs usagés seront recyclés pour en récupérer les matériaux stratégiques, et les anciennes centrales seront “repowerées” pour bénéficier des nouvelles générations de technologies. L’interconnexion de plusieurs réseaux nationaux en Afrique et en Europe permettra de gérer ensemble la demande et l’offre, offrant ainsi une plus grande résilience face aux événements climatiques extrêmes ou aux pannes localisées.
Clap de fin pour Desertec en Algérie : l’abandon du méga-projet
Malgré tout l’enthousiasme et les ambitions affichées, l’Algérie a finalement enterré son volet national du Projet Desertec. Annoncée en septembre 2020 par le ministre de l’Énergie Abdelmadjid Attar, cette décision marque un tournant : plus de feuille de route pour la construction de centrales solaires désertiques sur son territoire.
Plusieurs facteurs expliquent ce revirement :
- des négociations qui ont achoppé sur le partage des investissements et des revenus ;
- des priorités repensées : l’État a décidé de concentrer ses ressources sur la modernisation des infrastructures existantes ;
- des contraintes géopolitiques et budgétaires accentuées par la chute des cours pétroliers, réduisant la marge de manœuvre financière.
En clair, l’Algérie se retire des accords pilotés par le consortium Desertec, mais ne ferme pas totalement la porte à l’énergie solaire : des projets à plus petite échelle, portés par des acteurs privés et des startups locales, continuent de germer. Pour Paul van Son et le reste du consortium, cet échec partiel renforce l’idée de modularité : mieux vaut multiplier les “mini-clusters” de 100 MW plutôt que de viser d’emblée des centrales géantes de plusieurs gigawatts.
Sur Yelomart, on suit de près cette évolution : même si l’Algérie jette l’éponge, l’esprit du projet perdure dans des installations plus modestes, moins exposées aux aléas politiques et mieux adaptées aux réalités économiques régionales. (source : Observalgerie.com)